mercredi 22 février 2017

L. T. Piver, Cuir de Russie (vintage). Ruine Belle-Epoque.



Le "cuir de Russie" est un véritable mythe de la parfumerie du XXe siècle. Impossible de savoir qui a fait la première version (Guerlain ou Chanel, un cas de plagiat par anticipation ? Mystère), mais le site de L. T. Piver s'enorgueille tout de même d'un très vague "fin du XIXe siècle" pour sa déclinaison, un peu tombée dans l'oubli pour être honnête, de ce morceau de bravoure de la parfumerie moderne.



Le départ est extrêmement herbal, amer et médicinal. Des notes de sauge, du laurier et d'autres herbes aromatiques fleurant la sorcellerie. La bergamote est encore bien présente dans mon flacon (et ce malgré son grand âge), même si elle part plutôt du côté un peu "diesel" de la note que vers la fraîcheur hespéridée à laquelle je suis plutôt habituée. Un côté boisé bicéphale domine rapidement l'ouverture : fût de chêne humide oublié à l'arrière d'une cave, avec les restes à peine perceptible d'un très vieux cognac stagnant au fond, face à des notes vertes, amères de lierre/galbanum. Cuir de Russie est dans ses premières heures un parfum difficile, grandiose et décati, un palais abandonné partiellement en ruine. Le tout réussit à être à la fois très vert, sec et humide en même temps, avec une facette de sous-bois encombré, froid, plein de champignons, de mousse et de troncs de chêne effondrés en cours de décomposition. La bergamote et une note de mandarine renforce l'amertume verte et moussue de l'ensemble, sans pour autant lui donner un véritable élan de fraîcheur.



Après ces quelques heures d'un parfum atmosphérique et étrange (je me suis même demandé s'il n'avait pas tourné, mais non), le coeur s'avance peu à peu, et finit par s'imposer avec une subtilité qui le ferait presque passer inaperçu. Un encens oliban tonitruant se fait sentir. Nous sommes dans le registre très littéral de l'Eglise orthodoxe. Cependant, l'Eglise est pauvre, l'oliban est cher, et le prêtre a dû mélanger son encens traditionnel de belle qualité avec un peu de benjoin pour pouvoir faire perdurer la liturgie traditionnelle. Ce benjoin à la chaleur indéniable fait un peu canaille à côté de toute cette raideur chêne-mousse-encens : le cosaque aux bottes de cuir (pour reprendre le mythe génétique du "cuir de Russie") a des mauvaises fréquentations. Le benjoin était connoté vulgairement jusqu'au années 20. Le tout reste assez sec, le côté cologne verte et viril se calme, et les vraies notes cuirées font leur apparition. C'est un cuir assez traditionnel dans le cuir, bouleau amer et noir, à peine réchauffé par un peu de styrax. Plutôt typique.







Malgré tout, c'est le fond chypré et ambré de Cuir de Russie qui fait toute son originalité. Des notes vraiment sales de patchouli terreux et de mousse de chêne (naturelle, je pense) cohabitent avec un miel presque "physiologique", sucré, mais pas pâtissier. Un accord labdanum très puissant et de vanille, avec la sécheresse de l'ensemble, donne une très étrange reconstitution d'un effet "vieux papier". La forêt s'est transformé en bibliothèque oubliée, où les volumes anciens attendent patiemment d'être ouverts, enfermés dans les grandes armoires en chêne un peu trop humides. Le fond, au bout de plusieurs heures, devient beaucoup plus doux et sensuel. L'encens et le benjoin fusionne pour s'adoucir, jusqu'à créer une harmonie "Papier d'Arménie".

***

Cuir de Russie de L. T. Piver est une agréable découverte pour un achat  à l'aveugle impulsif sur Ebay. Je n'ai pas été capable de dater le flacon. Il est arrivé dans sa boîte intérieure d'origine, jamais ouvert et possédant encore son opercule de protection. La bouteille est gigantesque (c'est une eau de cologne après tout = 500 ml), et ne présente aucun code-barre, ni même de code de production sur le dessous de la bouteille. Je n'ai jamais pu tester la version moderne, mais d'après les internets, elle semblerait moins boisée et verte, et plus orientalisante et sucrée. Lecteurs, je suis dans l'ignorance totale, jusqu'à l'arrivée de nouvelles informations !



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