lundi 13 mars 2017

Abdul Karim Al Faransi, Sheikh Al Faransi. Ambregris chiaroscuro.

John Singer Sargent, Fumée d'ambre gris.

Sheikh Al Faransi (ci-après nommé SAF) est une variation moderne et complexe autour de l’ambre gris. Un fac-similé, un hommage au matériau noble, un pastiche, une reproduction historique, un peu tout ça à la fois peut-être. D'une facture particulière, SAF est un magnifique exemple de traitement des matières animales en "reconstruction", qui tiendrait presque de la prestidigitation.



L’ouverture est très sucrée et fruitée sans être vraiment gourmande. : une touche très intéressante de cognac, de tabac "amsterdamer", avec du santal très crémeux et un un accord ambré vanille-labdanum. Confortable, agréable, intense. Volutes de Diptyque et Gold Leather de Atelier Cologne viennent en tête. Les premières minutes sont assez cuirées et confortable grâce au labdanum. Rien de bien complexe pour le moment : SAF va dans la direction de nombreuses références de niche masculines voulant faire un oriental quelque peu gourmand.

Bientôt l’ambre gris et ses facettes de caramel au beurre salé se dévoilent, avec un ajout délicat de safran qui renforce le côté cuiré. Dans les premières heures, SAF est doucement animal, mais avec le côté sucré et doux du santal et la vanille. L’ambre gris domine complètement la composition assez rapidement, non pas avec le côté synthétique et froid de l’ambroxan, mais l'illusion du vrai ambre gris de baleine. SAF est un parfum pointilliste qui récrée avec précision la sensation incroyable de sentir du vrai ambre gris, sans pour autant en inclure (je ne suis pas tout à fait sûre de ça pour être honnête). Extrêmement chaud et vivant, l’ambre gris tel qu’il est traité ici baigne l’ensemble du parfum, fort sombre, d’une douce lumière mordorée. Au fur et à mesure du développement, les notes plus sombres et moins sucrées finissent par ressortir : le cognac disparaît avec la vanille et le santal, l’ambre gris se fait de plus en plus animal et cuiré. Des notes terreuses de patchouli émanent doucement du fond et donne une certaine amertume au safran. Le labdanum marié au safran donnent une touche épicé et aromatique à l’ensemble. Le labdanum est plus cuiré qu’il n’est vraiment ambré, mais garde ses facettes intenses de "sirop pour la toux" au caramel. Le safran ajoute ce côté salé et épicé, un peu étrange de corps en sueur. Un daim doux et chaud se fait sentir. Des notes plus sèches, étranges, amères apportent un aspect vraiment perturbant au parfum (Pour les amateurs de parfumerie moyen-orientale, pensez au shamamah. C'est un peu dans le même esprit, sans être pour autant comparable). Là où les notes de tête étaient toutes de doux confort, le fond se fait de plus en plus sombre, obscur et dérangeant grâce à des notes amères d’asafoetida (je pense) à peine perceptibles, comme un spectre entrevu parcourant le parfum de bout en bout, rappelant que l’ambre gris est une note des profondeurs océaniques malgré sa douceur de galet chauffé au soleil.

Un côté plus fumé et sec ressort grâce à une touche d’encens oliban, un peu d’ambroxan et de cèdre. Les notes de coeur sont intensément boisées et masculines, mais conservent l’incroyable douceur de l’ambre gris qui parcourt tout le parfum.



Le fond est le moment le plus "animal" de tout le parfum ; comme souvent certes, mais ici la bête tapie au fond du flacon est un chat de salon au poil bien trop précieux pour sortir du boudoir de sa maîtresse. Le patchouli fait son apparition, donnant un côté à la fois moisi et liquoreux aux dernières heures du développement, face à la sécheresse d’un oliban encore frais, attendant d’être brûlé dans l’encensoir d’une vieille église aux boiseries quelque peu vermoulues. L’oud arrive enfin (il était promis dans les notes, mais il m'a fallu attendre pour le sentir), et c’est cet oud indien classique que j’aime bien et qui fait fuir tout le monde : un peu sale et rebutant, avec des touches de roquefort et de camphre qui le rendent pratiquement im-portable tel quel, mais merveilleux pour faire tenir base en longueur et lui donner un léger décalage qui perturbe doucement mais sûrement le confort du porteur.

Parmi les parfums Al Faransi que j’ai pu tester jusqu’à maintenant, je perçois presque toujours cette base caractéristique de musc propre, de lavande aromatique et de cannelle, qui se conduit comme un fil conducteur à travers beaucoup des parfums de la marque. Elle soutient ici l’oud indien toutes en nuances boisées, camphorés et fromagères, face à un patchouli à la fois fruité et terreux, et les éclairs cuirés d’un ambre gris accompagné de labdanum qui reste jusqu’à la fin le thème principal de SAF.


***

Parmi les nombreux mukhallats que j'ai pu sentir ces dernières années, quelques-unes des références Al Faransi se démarquent nettement. Sheikh Al Faransi fait partie d'entre elles. J'ai l'impression d'être tombée sur un ambre qui ne se laissera pas détrôner. J'ai beau essayé de décrire toutes ces notes, de donner l'idée de la complexité du développement, il est malgré tout presque futile d'essayer de rendre l'effet de l'ensemble par un simple portrait comme je viens de le faire. Alors, voilà :

Fernand Khnopff, D'après Flaubert (La Tentation de Saint-Antoine).
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Tentation_de_saint_Antoine/VI


2 commentaires:

  1. Merci pour cette magnifique revue. Je souhaitais juste apporter une précision: il s'agit bien d'un vrai ambre gris qui compose ce parfum.

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    1. Merci pour cette précision, je pense qu'elle sera utile aux lecteurs. Bravo à vous pour cette création exceptionnelle !

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